Penser la Polonia

Semaine après semaine, je reçois et je lis avec attention les Kamien de Pierre Frackowiak dans lesquels il pose des questions pertinentes sur le présent et l’avenir de la Polonia de France. Je peux (à titre personnel) être d’accord sur certains points comme lorsqu’il écrit : « Il faut du concret, un projet, un site géographique et un site internet vivant, un programme culturel cohérent, des soutiens, des moyens, une réflexion collective soigneusement préparée par une animation dans la durée, bien en amont des évènements que l’on oublie le lendemain, une période de préfiguration convaincante. Il faut une structure, support représentatif de la Polonia, un comité de soutien avec des experts, des universitaires, des chefs d’entreprises et une mobilisation de tous ceux qui sont attachés à leurs racines, à la richesse de la double culture… pas seulement le bigos, ogorki, kluski, polkas… » ». Personellement, je tends à penser que cette idée d’une Polonia de France reste une belle idée, une rêverie, une utopie. Il est vrai que si c’était facile, cela se saurait…mais après tout, pourquoi pas s’accorder le droit de rêver…


Sortir de l’isolement, changer de vision, construire et se rassembler !

Ne pas refuser les liens et relations avec les institutions officielles
C’est un fait. La Polonia de France doit sortir de son « isolement institutionnel ». Il ne faut pas hésiter à créer du lien avec des institutions polonaises en France et avec notre pays d’origine. Il faut multiplier les échanges d’artistes, d’expositions, etc. Entendons bien qu’interagir avec les institutions officielles ne veut pas dire y faire allégeance et en être le vassal. Cela ne doit pas revenir à troquer une certaine liberté de ton, d’opinion, etc. contre quelques subventions mais il est illusoire de penser un conseil représentatif fort sans lien avec les institutions officielles qu’elles soient françaises ou polonaises. Il est nécessaire d’établir de vrais partenariats pour porter ensemble des projets d’envergure.


Une Polonia ouverte aux jeunes
Dans son « Kamien numéro 16 du 26 mars 2023, Pierre Frackowiak écrit qu’il convient de se poser des questions et de réfléchir à “la place des jeunes dans un contexte conservateur, considérant qu’il ne suffit pas d’attirer des jeunes pour leur apprendre ce que nous savons”. A raison, il y a effectivement un immense défi qui consiste à ouvrir la Polonia aux plus jeunes et sortir d’une certaine sclérose d’une polonia vieillissante. Mettons nous d’accord, on a le droit d’organiser des soirées bigos et de danser sur les airs de l’orchestre Kubiak, on a le droit d’être attaché à un folklore parfois passéiste parce que la Polonia c’est le passé et la Nostalgie. Mais, nous aurions aussi tendance à oublier que la Polonia c’est également le présent ET le futur. Il est nécessaire (car le temps presse) d’avoir une Polonia qui soit capable de se tourner vers les plus jeunes qui sont quelquefois en quête identitaire, à la recherche de leurs racines et de leur histoire. Pour cela il n’y a pas 15 000 solutions : il faut impérativement créer et multiplier les liens avec notre pays d’origine (Institut culturel, associations…). Dans les années 1930, nos parents arrivés en France bénéficiaient de colonies et voyages organisés en Pologne afin de leur faire découvrir leur pays de naissance ou d’ascendance. Il conviendrait de penser une version nouvelle de cette ancienne organisation de voyages et de colonies de vacances vers la Pologne. Oui, la Pologne du XXIe ça reste le folklore de Mazowsze, mais aussi les buildings en verre de Varsovie. En ce qui concerne les plus, s’ouvre aussi la question des cours d’apprentissage de la langue polonaise; Vaste question ! Il est important d’agir et de construire pour les jeunes qui se reclameraient de la Polonia de France, de bâtir pour les générations futures.


Une Polonia de France (et non simplement des Hauts de France)
Penser la Polonia, c’est aussi être capable de penser que la Polonia ne se réduit pas aux Hauts-de-France. Certes, c’est la région qui a vu arriver le plus grand nombre de Polonais entre 1919 et 1939, mais ce n’est qu’un morceau (même si c’est un gros morceau) d’histoire, de notre histoire, de nos histoires. Penser la Polonia uniquement par le Nord reviendrait à se limiter à la Stara emigracja en faisant fi de la Wielka emigracja, de nos concitoyens arrivés en France lors des années Solidarnosc ou de nos compatriotes qui parviennent en France récemment pour travailler.
La Polonia du nord de la France doit être une colonne vertébrale ou un véritable moteur ou catalyseur, mais il ne faut pas se restreindre à elle. Cette dernière doit d’ailleurs sortir de son isolement et s’agglomérer à la Polonia de France, car oui, il y a bel et bien une polonia de tout le territoire français, une Polonia des mineurs de Potigny (Calvados), de Carmaux (Tarn), de Saint-Étienne (Loire) ou d’Ales (Gard). Il existe une Polonia en Bretagne, en Alsace et en Lorraine. Bien entendu, il y a aussi une Polonia à Paris. Si le Nord a (et indéniablement) une place particulière, elle ne doit pas en être l’épicentre. De plus, s’ouvrir à l’ensemble pays permettrait à la Polonia des Hauts-de-France de s’affranchir d’une vision étriquée de la Polonia et de s’offrir une réelle possibilité de renouveau loin d’un “entre-soi sclérosant” pour reprendre les mots de Pierre Frackowiak. Il convient donc, sur ce point, de ne pas minimiser ou minorer les “Nordistes” de la Wielka emigracja, mais belle et bien les intégrer harmonieusement dans un tout que serait la Polonia de France.


Un centre culturel
Ce dernier dans son “kamień” Numéro 13, Pierre Frackowiak plaidait pour la construction d’un centre culturel de la Polonia de France… dans les Hauts-de-France. Si les explications sont cohérentes et entendables, on ne peut que regretter qu’encore une fois ce serait enfermer la Polonia dans le cliché mines-Nord-Wielka emigracja. On aurait tous 1000 raisons et/ou arguments de vouloir, de demander et réclamer ce centre dans notre région. Par exemple, pourquoi pas mettre ce complexe dans le Calvados (non loin des mines de Soumont-Potigny, village qui comptait plus de Polonais que de Français dans les années 1930, proche du Mémorial de Montormel, du cimetière militaire de Langannerie, etc.) le tout situé à deux heures seulement de Paris, et à quelques kilomètres des plages du débarquement, etc ?


Un CRIP pour faire quoi ?
Une autre idée explicitée consisterait à développer un CRIP (Conseil représentatif de l’immigration polonaise de France — nom très mal trouvé et qui fait pâlement référence au Conseil représentatif des Juifs de France. Pourquoi pas évoquer un “Conseil d’entente” comme celui mis en place en 1933 par la diplomatie polonaise et qui regroupait neuf organismes influents dans la communauté polonaise ?). J’avoue avoir ici beaucoup de difficultés à savoir à quoi exactement pourrait servir ce “conseil”. Si ce dernier vise à dégager une majorité sur certaines questions ou initiatives, est-ce vraiment la peine ? Aussi, si c’est pour initier une énième association qui regroupe d’autres associations, est-ce là encore vraiment la peine ? Comme le note Pierre Frackowiak “l’avenir ne peut se réduire à des associations d’associations” .
Si ce “CRIP” consiste à mettre sur pied une vraie structure qui organise le mouvement (car oui, si le mot de sclérose revient souvent lorsque l’on évoque la Polonia, il faut bel et bien aujourd’hui penser une Polonia en mouvement) pourquoi pas ? Il faudrait donc rassembler avec nos différentes sensibilités et notre « particularisme polonais » qui devrait dépasser dans ce cadre tous nos clivages (politiques entre autres, et là encore ce ne serait pas forcément simple). Aussi, là encore il faut que les membres de cette organisation viennent de toute la France et qu’il n’y ait pas une hégémonie nordiste, sinon, à quoi bon ? Le collectif Polonia Hauts-de-France existe déjà semble déjà faire plutôt bien le travail.
De la démocratie
Avant toute chose, en ce qui concerne ce “CRIP”, il devrait y avoir un réel processus démocratique, basé sur un projet, une vision de la Polonia de France, un programme et une réelle ambition qui pourrait être nécessaire dans un contexte particulièrement morose (même chaotique) en France comme en Europe (conflits sociaux, sociétés fragmentées, guerre en Ukraine, inflation, etc.). La démocratie est déjà mise à mal en ce moment dans notre pays, il ne faudrait pas qu’elle le soit aussi dans cette structure qui se voudrait nouvelle et novatrice. Ce “conseil représentatif” devrait donc se plier à des élections de représentants si vraiment l’on va au bout de l’idée. Là encore il conviendrait d’éviter l’hégémonie nordiste et d’équilibrer une représentation nationale sous peine de voir ce processus démocratique “mourir dans son œuf”. C’est un véritable bureau avec des gens issus des différents courants migratoires et de différentes régions de France qui devrait alors être instauré.


Une image de la Polonia
Puisqu’il paraît que seul on va plus vite, mais qu’ensemble, on va plus loin, il faudrait dans l’hypothèse d’un conseil de la Polonia en France, avoir une réflexion et un travail sur l’image de cette Polonia et sur la communication, les réseaux sociaux (Twitter…). Avec le financement, l’image et la communication sont devenues (et on peut le regretter hélas) des éléments essentiels dans la vie d’une association ou d’une structure. Si ces éléments sont bien obligatoires, il ne faut surtout pas les substituer au travail de réflexion ! À l’instar de nombres partis politiques qui basent tout sur l’image et la communication sans y mettre la moindre once de réflexion. Ce travail d’image et de communication doit être le reflet, la restitution d’un ouvrage intellectuel où les questions de liens évoqués précédemment avec le pays d’origine et vers les plus jeunes doivent y avoir un rôle important sans qu’il ne s’agisse pour autant d’effacer la Polonia du passé.


Bref, que ce soit par la mise en place d’un conseil de la Polonia ou la construction d’un centre culturel, il conviendrait de faire entrer pleinement la Polonia de France dans notre XXIe siècle en faisant de cette dernière, une construction collective dont les membres (anciens, jeunes comme les middle-âge) avanceraient ensemble avec leur point commun (l’attachement à la Pologne, sa culture, etc.) et leurs différences. Une construction bâtie par les intelligences et compétences de toutes les bonnes volontés (du Nord comme de tout le reste du pays) prêtes à porter ce projet, et si possibles, dans un contexte apaisé.

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